Paris 2024 : la réalité virtuelle au service de la préparation olympique

Des scientifiques français développent depuis quatre ans des outils technologiques pour aider les sprinteurs, boxeurs et gymnastes à optimiser leur entraînement. Mais l'efficacité de ces dispositifs n'a pas encore été démontrée.

"La France a une position de leadership international pour l'usage de la réalité virtuelle dans le sport." Franck Multon, directeur de recherche à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), le dit sans emphase. Depuis plus de vingt ans, professionnels des sciences du sport et de la réalité virtuelle allient leurs compétences au sein de l'antenne rennaise de l'institut. Cet avantage marginal permettra-t-il aux Français de décrocher davantage de médailles cet été à Paris ?

A l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), temple des champions français, les boxeurs bénéficient déjà de leur travail. Casque de réalité virtuelle sur la tête, l'un d'eux enchaîne les coups dans le vide. Plongé dans son combat, face à un adversaire virtuel mais réaliste, il finit la séance éreinté, le sourire aux lèvres. Cette situation, Mamadou Bakary Diabira, entraîneur adjoint de boxe anglaise au pôle France de l'Insep, affirme la vivre à chaque fois qu'il propose à un nouveau boxeur de s'essayer à la réalité virtuelle.

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"Ce n'est pas la solution miracle, mais elle améliore les performances de nos athlètes. Ils prennent ces séances virtuelles comme un vrai travail", assure-t-il, soulignant également l'opportunité de proposer un entraînement en opposition à un athlète blessé, mais sans coups. "C'est un outil complémentaire dans l'arsenal des entraîneurs. La réalité virtuelle reste une infime partie de leurs méthodes d'entraînement", souligne Richard Kulpa, coordinateur du projet Revea, qui vise à optimiser la performance sportive grâce à la réalité virtuelle.

Eviter les entraînements à risque

Outre l'équipe de l'Inria Rennes, des universitaires de Marseille et Reims planchent sur le sujet, soit au total une vingtaine de personnes. Porté par l'université Rennes 2, Revea fait partie des 11 projets financés, à hauteur de 4,3 millions d'euros, par le programme prioritaire de recherche sport de haute performance, lancé en 2020 et doté au total de 20 millions d'euros par l'Etat.

Trois disciplines olympiques – la boxe, l'athlétisme et la gymnastique – bénéficient de cette expertise. Les fédérations de boxe et d'athlétisme ont émis la requête de pouvoir travailler virtuellement la défense et la prise de décision sur le passage de relais. Objectif : trouver une alternative à l'entraînement réel, source de blessures.

"Dès qu'on fait de la réalité virtuelle, les questions qu'on se pose sont : que va-t-on apporter de plus et pourquoi ne peut-on pas le faire en vrai ?"

Richard Kulpa, coordinateur du projet Revea

à franceinfo: sport

"Travailler la défense en boxe est problématique, car cela suppose d'encaisser des coups. Avec le 'shadow boxing'[boxe dans le vide], le boxeur n'est pas confronté à un adversaire, il ne s'entraîne pas à anticiper. Avec la réalité virtuelle, on peut créer un avatar, contrôler la séquence et quantifier la performance de l'athlète. Le nombre de coups reçus, par exemple", poursuit le professeur des universités en sciences du sport.

Des avatars qui ne se fatiguent pas

De la même façon, l'avatar sprinteur ne se fatigue pas et conserve sa vitesse de pointe au fil des passages. Son coéquipier, bien réel, peut multiplier les départs sur quelques appuis. Et pour placer le sprinteur sous pression, il est même possible d'ajouter des adversaires virtuels. "L'athlète peut s'entraîner à la bonne prise de décision en faisant jusqu'à une trentaine de répétitions, car le départ est moins énergivore. Dans la réalité, un passage complet, à pleine vitesse, on ne peut le répéter que cinq ou six fois", contextualise Franck Né, responsable du collectif féminin du 4x100 mètres. 

En gymnastique, les chercheurs rémois ont développé des avatars des gymnastes pour leur permettre d'observer sous toutes les coutures leurs propres mouvements, et même ceux dont ils ne maîtrisent pas encore l'enchaînement. Les figures réalisées par l'athlète sont captées séparément et l'intelligence artificielle se charge de les faire s'enchaîner.

"Le casque m'a fait l'effet d'un jeu vidéo en immersion complète. C'est impressionnant."

Zachari Hrimèche, gymnaste

à franceinfo: sport

"Aux arçons, notre spécialiste Benjamin Osberger a été pris comme modèle. J'ai pu analyser son mouvement et comprendre comment placer mon poids du corps sur une figure que je ne maîtrisais pas", poursuit le spécialiste du saut.

Souvent jeunes et déjà familiarisés aux jeux vidéo, les athlètes se sont montrés globalement réceptifs. Mais l'objectivation chiffrée de leurs performances a pu susciter des craintes. "Certains ont redouté que les entraîneurs utilisent ces données pour faire des choix. Or, elles ne sont pas suffisantes", rassure Richard Kulpa, qui rappelle également que, si les chercheurs publient leurs résultats dans des revues scientifiques, les données des athlètes de haut niveau ne sont jamais dévoilées.

De longs mois de développement

L'Insep a dû faire preuve de patience avant de pouvoir utiliser les différents casques de réalité virtuelle. Plusieurs mois à plusieurs années de développement, de travail de coconstruction entre scientifiques et sportifs auront été nécessaires. Frein principal aux différents projets : le temps incompressible d'acculturation. Les chercheurs ont dû apprendre à décrypter le vocabulaire et les attentes des entraîneurs. Ces derniers à leur tour ont dû saisir les possibilités, mais aussi les limites, des outils technologiques. 

Avec le jeu des retours d'expérience, le dispositif n'a cessé de s'améliorer. Les athlètes sont ainsi passés de casques filaires à une technologie bluetooth. "Aujourd'hui, on ne peut pas l'utiliser dehors à cause de la sensibilité des caméras. Mais bientôt, des capteurs seront intégrés et les athlètes pourront s'entraîner en extérieur, avec leurs pointes de compétition", détaille Franck Né.

Pour se rapprocher au plus possible de l'environnement des JO, le casque plonge les sprinteurs dans l'enceinte du Stade de France, avec sa piste violette et le bruit de ses supporters. "Mais il manque par exemple le 'hop', le signal donné par le coéquipier", regrette le responsable du relais 4x100 mètres féminin. 

Une efficacité à démontrer

Malgré les quatre années de travail, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions claires quant à l'efficacité des casques de réalité virtuelle sur les performances des sportifs. "Le gros défi est de permettre aux athlètes d'apprendre quelque chose qui fonctionne aussi sur le terrain. Il faut que ce soit transférable. On travaille sur une logique d'essai-erreur", reconnaît Franck Multon.

"On remarque que ceux qui ont déjà testé les casques s'améliorent dans leur prise de décision dans l'environnement virtuel. Mais on n'a pas de recul pour voir s'il y a un impact dans la réalité."

Richard Cursaz, responsable de l'équipe de France masculine du 4x100 mètres

à franceinfo: sport

Devant l'absence d'études, l'entraîneur réserve l'utilisation de la réalité virtuelle aux périodes d'entraînement et pas à l'approche des grosses échéances. Même constat de flou en gymnastique. Si les gymnastes ont l'habitude de toujours contrôler leur image sur vidéo après leur passage, l'outil bien plus immersif de la réalité virtuelle est proposé avec parcimonie. "On n'a pas encore constaté les effets. Nous sommes dans la phase exploratoire, reconnaît Nicolas Tordi, conseiller scientifique à la Fédération française de gymnastique (FFG). On ne maîtrise pas encore le moment, ni la fréquence à laquelle il faudrait proposer le casque."

Surtout, en gymnastique, l'outil a mis du temps à pouvoir être proposé. La faute à une intelligence artificielle qui peine à reconstituer des mouvements loin d'une motricité naturelle comme la marche. "Pour créer l'avatar d'une minute de mouvement, il fallait trois semaines de travail", illustre Nicolas Tordi.

Le futur en pointillé

Avec les Jeux olympiques comme point d'orgue, le projet Revea devrait s'éteindre fin 2024. Scientifiques et monde sportif s'agitent en coulisses pour que les liens noués perdurent et que le travail engagé se poursuive. Deux grandes pistes se dégagent. La première porte sur le transfert des travaux auprès d'entreprises voyant en ces technologies de possibles débouchés. La seconde s'appuie sur la poursuite des financements de l'Etat ou de l'investissement des fédérations.

"Je pense que les effets de la réalité virtuelle sur l'apprentissage en gymnastique se verront davantage en 2028 qu'en 2024", prédit celui qui accompagne la FFG depuis 2000 sur le volet scientifique. "On va faire fructifier tout ça deux ans après les Jeux olympiques", corrobore Franck Multon. Reste aux chercheurs, durant ce laps de temps, à garder un coup d'avance sur la concurrence pour que les athlètes tricolores conservent cet avantage qui pourrait un jour faire la différence.

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